jeudi 30 octobre 2008

La biologie financière expliquée à ma fille...

Il est l'heure d'aller au lit et ce soir je vais te raconter une histoire.
C'est l'histoire d'un bébé qui s'appelle : Biologie financière.
Ses parents : le laboratoire Biomnis (ex-Laboratoire Marcel Mérieux) et le fond d'investissement Duke Street sont très heureux. Le parrain c'est le "rapport Ballereau", il était un peu étonné car le papa et la maman n'avaient pas encore le droit de se marier. Il fallait attendre une ordonnance prévue par l'article 20 du projet de loi HPST. Je sais c'est un peu compliqué...
Comment ? Le papa et la maman de Mathéo ne sont pas mariés non plus...oui, tu as raison mais ça c'est une autre histoire. D'ailleurs il est tard, il faut dormir maintenant...Papa doit écrire son post.

Où en étais-je ? Oui, naissance de la Biologie financière.

Le 27 octobre dernier, le site les Echos diffuse le premier l'information. Depuis, plusieurs dépêches et articles l'ont reprise et complétée notamment après la communication des principaux acteurs de l'opération ( APM, les Echos encore, divers sites d'informations financières dont http://capital.liveactu.com/ ).


D'abord qui sont les deux partenaires ?
- Biomnis est un des deux laboratoires spécialisés dits "de recours" en biologie clinique qui réalisent pour tous les autres laboratoires privés ou publics des analyses pointues qu'il serait trop compliqué ou trop cher pour eux à réaliser. Ainsi, dans mon laboratoire, je ne dose pas le glucagon puisque je reçois une dizaine de demandes ( justifiées !) par an, je les envoie donc à Biomnis le lyonnais ou à son concurrent Cerba le parisien. Ces deux laboratoires possèdent une logistique qui leur permet de récolter les prélèvements à travers toute la France et d'avoir des volumes suffisants pour rentabiliser ce type de demandes. Ils possèdent également une chaîne post-analytique capable de facturer directement au patient.

- Duke Street est un fond d'investissement basé essentiellement au Royaume-Uni qui gère 2 milliard d'euros d'actifs investis dans des entreprises de taille moyenne de 50 à 500 millions d'euros. Il a actuellement 14 entreprises dans son portefeuille répartis dans 6 secteurs d'activités. Ce fond est souvent en contact depuis plusieurs années avec les entreprises qu'il rachète, il y applique la stratégie du "Buy and Build" c'est à dire qu'il augmente considérablement la croissance interne et externe ( et donc la valeur) de ses cibles notamment par un management rigoureux et ambitieux. Il reste en moyenne plus de 3 ans dans le capital de ces enreprises et globalement le retour sur investissement atteint 25 % par an (pour plus d'informations voir ici).

Quels sont les termes de l'opération financière ?

Duke Street a acquis 75% du capital de Biomnis, l'opération valorisant ainsi le laboratoire à 217 millions d'euros au total soit environ 98,6 % de son chiffre d'affaire annuel et 10 fois l'Ebitda (c'est un terme barbare, certes mais avec l'avénement de BF, Biologie financière, il va falloir s'y habituer). L'opération a été financée par LBO (idem !) avec un prêt sénior de Fortis et un prêt mezzanine d'une filiale d'Axa. D'après les Echos, Bercy aurait donné son accord à l'opération le 22 octobre dernier.

Quel est la composition du capital après le rachat ?

75 % Duke Street, 20 % Jean-Louis Oger, 2 % Mademoiselle Oger, 2% le Syndicat des Biologistes de Bretagne et pays de Loire, 1 % le management.

Qui seront les nouveaux dirigeants ?

Pierre-Yves Guiavarch, ex-Générale de Santé, sera le nouveau PDG de Biomnis à la place de Jean-Louis Oger qui deviendra président du conseil de surveilance. D'après les communiqués officiels, le premier apportera son professionnalisme et ses compétences managériales et le second apportera sa connaissance inégalée du secteur. Le lien avec le fond d'investissement, selon la méthode maison dite du "triangle" sera assuré par les deux nouveaux membres du conseil de surveillance : Charles Woler, médecin issu de l'industrie pharmaceutique, et Thierry Paternot, MBA Harvard et ancien de l'Oréal.

Qui a communiqué sur l'opération ?

Le premier a avoir communiqué est Biomnis sur son site , puis il y a eu Duke Street sur le sien. Le Syndicat des biologistes bretons n'a pas officiellement réagi à l'opération.

Pourquoi Duke a racheté Biomnis ?

Biomnis est leader dans le secteur de la biologie spécialisée, un secteur dont les barrières en terme d'expertise et de compétences sont très lourdes. Duke Street devait l'avoir depuis un moment dans le collimateur. En effet, Biomnis, outre cette position de leader et son expertise, possède plusieurs relais de croissance : la marché quasi captif des analyses de deuxième intention, les implantations à l'international (Irlande, Dubaï) et l'implication dans des nouveaux secteurs (études cliniques, empreintes génétiques, hygiène hospitalières). Les méthodes managériales de Duke Street vont très probablement booster ces postes pour en tirer une croissance à deux chiffres.

Ce qui est particulièrement intéressant dans cette opération c'est le timing. Au moment où la profession est en plein désarroi (n'ayons pas peur des mots) et où règne une incroyable opacité reglementaire (sortie du rapport Ballereau, projet HPST, ordonnace en préparation), Duke Street boucle son rachat de Biomnis. Officiellement, nous sommes encore sous le régime de la loi de 1975, qui n'autorise pas qu'un non-biologiste détienne plus du quart du capital d'un laboratoire. De plus, Bercy, qui n'est pourtant pas le ministère de tutelle de la profession, autorise l'opération. Cet accord est donc le cadeau de naissance à la Biologie financière et trace le sillon pour les prochaines unions.

Sur un plan réglementaire, Duke Street a peut-être aussi voulu dévancer la règle des 7 ans d'actionnariat que propose d'instaurer le rapport Ballereau.

Sur un plan politique, les biologistes sont mis devant le fait accompli et comme Biomnis est le plus gros acteur du secteur, l'opération justifie a elle seule le rapport Ballereau et l'article 20 de la loi HPST !

Quelles questions soulève ce rachat ?

Elles ont nombreuses mais il n'est pas certain que l'on obtienne les réponses.

1- Cette opération est-elle, dans le cadre législatif actuel, légale ? Je ne me lancerai pas dans le débat juridique mais je suppose qu'elle le sera dans 6 mois quand l'ordonnance paraîtra.

2- Que va devenir Cerba, le concurrent ? Est-il possible, que Biomnis le rachète puisque Duke Street favorise la croissance externe des entreprises dans lesquelles il investit ?

3- Combien de temps va rester le fond d'investissement dans le capital de Biomnis ? La réponse est peut-être rédigée dans le pacte d'actionnaires mais on peut la déduire de la nature même de Duke Street (fond d'investissement) et du mode de financement utilisé pour le rachat (LBO). Il est probable que ce soit entre 3 et 5 ans. Du coup, quel Biomnis va récupérer le paysage biologique français après son retrait ?

5- Quelle est la position du Syndicat des Biologistes bretons qui fait partie du montage financier ?

4- Quelles seront les conséquences en terme de tarifs et de service pour les patients et les laboratoires clients de Biomnis ? Difficile de le dire aujourd'hui mais il va sûrement y avoir des changements.

Autre constat très intéressant, en pleine crise financière et au moment où les banques sont les plus frileuses pour financer les projets, voilà qu'une opération de LBO à plus de 150 millions d'euros est montée avec succès par Fortis (avalée depuis ses déboires du mois dernier par BNP) et Axa Mezzanine. C'est la preuve que le secteur est très porteur mais surtout qu'il présente encore une sérieuse garantie...celle de la sécurité sociale.

Pour finir,

La biologie financière serait-elle à la biologie clinique ce que homo sapiens a été homo neanderthalensis, c'est à dire le début de la fin ? Pour l'instant, j'en retire une très modeste satisfaction, je dois être le premier à utiliser ce néologisme - biologie financière - dans un blog (si, si faites une recherche google si vous le voulez !).

GdM, qui va se coucher avant que sa fille ne se réveille.

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