mercredi 16 décembre 2009

Disparition de la biologie médicale au début du XXIème siècle : l'exemple français.

C’est le titre d’un travail de recherche qu’a présenté dernièrement Ali-Joshua Bristol devant la société d’archéologie clinique de Munich. J'ai récemment rencontré et interrogé cet historien sur les raisons pour lesquelles il a réalisé cette étude quelque peu atypique.

Selon votre conférence, tout a commencé par une rencontre avec un Collègue français.
AJB -Tout à fait. Ce collègue, issu du sud de la France, m’a transmis quelques notes dont il savait qu’elles allaient m’intéresser. C’était les transcriptions d’un entretien qu’il avait eu avec un vieil oncle appelé GdM. Ce dernier racontait à chaque repas de famille et à qui voulait les entendre des anecdotes sur son premier métier aujourd’hui disparu.

Pourquoi étaient-elles intéressantes ?
AJB- En tant qu’historien de la santé, j’étudie les évolutions du modèle sanitaire mis en place en Europe durant le XXème siècle. La disparition d’une spécialité médicale qui a rendu autant service représentait pour moi un objet d’étude particulièrement instructif. Grâce au vieil oncle, j’ai eu une idée assez précise du quotidien de cette profession. Il faut savoir qu’à l’époque, les gens se rendaient dans un lieu appelé laboratoire, souvent proche de chez eux, pour faire ce qu’ils appelaient des analyses médicales. Du sang leur était prélevé le matin pour être analysé ensuite par des automates. Ils revenaient le soir même pour récupérer les résultats de ces analyses, imprimés sur des feuilles de papier. Bien sûr, je simplifie un processus qui pouvait être parfois beaucoup plus complexe. Mais comme aujourd’hui les choses sont tellement différentes, cette simplification est nécessaire pour bien visualiser le cœur de ce métier.

Que s’est-il passé ?
AJB- Pour bien comprendre parlons de chiffres. En 2008, la France a dépensé 170 milliards d’euros pour se soigner dont 4,5 milliards pour cette spécialité qu’est la biologie médicale. Le déficit de la Sécurité sociale était alors de 20 milliards d’euros. Il fallait tout tenter pour faire des économies, or à cette période, la biologie médicale était assaillie de toute part : par une plainte européenne, par un lobby qui prônait une biologie déréglementée, par certaines administrations qui voyaient d’un mauvais œil les revenus des biologistes, par l’accumulation des innovations techniques qui rendait la rupture inéluctable. De plus, son cadre réglementaire, qui datait de 1975, ne jouait pas en sa faveur. Je ne parle pas des biologistes qui n’ont pas vu ou voulu voir cette rupture arriver. Cette hypothèse reste difficile à démontrer car c’était une profession discrète, qui ne faisait pas de bruit. Les documents qui relatent leur « faits d’armes » sont très rares, j’en ai trouvé quelques uns qui concernent la loi Evin et d’autres, vingt ans après, rédigés par l’intersyndicale des biologistes contre la loi HPST.

Selon vous, qu’est ce qui a précipité la disparition de cette profession ?
AJB- La disparition ne s’est pas faite d’un coup. Il y a d’abord eu ce que j’appelle « la grande rupture » en janvier 2010. Deux textes fondateurs sont à l’origine de cette rupture : la norme ISO 15189 : 2007 et la version V14.4 de l’Ordonnance sur la biologie médicale. Le premier texte est normatif et le second est réglementaire. Ce qui a déclenché la réaction en chaîne est relativement simple : le second texte, apparu chronologiquement après, a rendu le premier obligatoire. Les conséquences ont été radicales. Pour bien comprendre de quoi il s'agit, il faut imaginer que le laboratoire du coin de la rue dont je vous ai parlé tout à l’heure devait en l’espace de 6 ans se transformer en prestataire de niveau international puisque c’est l’objectif même d’une norme internationale ISO (iso = en tout point identique). Le coût financier, en compétences et en charge de travail était tel que mécaniquement plus de la moitié des laboratoires ont dû fermer avant 2016. Les laboratoires se sont logiquement concentrés avec la mise en place d’une logistique impressionnante. La normalisation a été telle que les patients se faisaient prélever de la même manière partout en France, les valeurs de références pour les analyses étaient partout identiques et les comptes rendus étaient rédigés à l’identique du nord au sud. L’industrie du diagnostic a également beaucoup souffert car les biologistes sont devenus extrêmement exigeants. Du coup, deux géants se sont partagés le marché : les groupes Sioche et Remens car ils ont pu s'adapter aux nouvelles contraintes.

Les économies ont-elles pu être réalisées ?
(AJB sourit) - Revenons aux chiffres. Cette rupture a concerné 2,5 % du budget global de la santé. Si 50% d’économies sont réalisées sur la biologie, elles ne peuvent diminuer le budget global que de 1,25%. Fallait-il tout changer ? Je vous laisse le soin de répondre.

Que s’est-il passé ensuite ?
AJB- Ce n’est pas très clair. Nous manquons de données précises mais la population a continué de vieillir consommant de plus en plus d’examens. Les industriels se sont regroupés et ont augmenté le prix de leurs automates, réactifs et prestations. De fait, il est probable que les économies d’échelle réalisées aient été vaines. Par ailleurs, l'Ordre des pharmaciens qui est un des piliers de la profession a été secoué par l'instruction européenne et ceci a peut-être eu un impact sur la suite des évènements. Mais nous continuons la recherche de documents de l’époque pour le confirmer.

La biologie médicale a finalement cessé d’exister en tant que telle.
AJB- Oui. Aux alentours de 2030, le concept même de laboratoire a disparu laissant la place aux « with you », ces boitiers qui nous accompagnent partout et qui, entre autres fonctions, surveillent en permanence nos paramètres vitaux. Mais ça c’est du présent, cela ne m’intéresse pas beaucoup. (Deux bips différents retentissent). D’ailleurs mon « with you » me signale que je dois manger mais en diminuant ma ration de lipides. Que dit le vôtre le vôtre ?

Que mon taux de sérotonine s’élève. Vous êtes libre pour dîner ?
AJB- Absolument. Je vous raconterai une autre histoire passionnante, celle de la radiologie.


Sandra Yuan-Riviêre.
Mars 2043, pour European e-News.

Mes amis, j'ai enfin mis la main sur les textes de la version V14 de l'ordonnance et de la norme 15189 : 2007. J'ai comme l'impression qu'on a pas finit d'en entendre parler ! L'avenir nous le dira bien.
GdM

13 commentaires:

Totsaki a dit…

Follement amusant et terriblement déprimant : du grand art !

Plus sérieusement, je m'échine en vain à trouver ces deux textes..si le LabMutation de 2009 pouvait nous donner quelques liens ou pistes de recherche, ce serait avec plaisir !

Sinon, j'ai du mal à m'expliquer la léthargie de 90% de nos confrères (de l'interne au pré-retraité): les premiers ne voudront sans doute pas racheter les labos NON CONFORMES des seconds à moins de 6 ans de la date "couperet" (il sera alors beaucoup moins onéreux de monter un simple "cabinet de prélèvement", accrédité en pré-analytique et surtout, dix fois moins risqué que de tenter l'aventure de l'accréditation en trois/quatre ans avec un emprunt sur le dos).

Au final, il risque de n'y avoir que peu de gagnants.

GdM a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Cassandre a dit…

Dans l'air du temps que de prononcer de terribles prédications... Ce n'est pas 2012, c'est 2016 !
Soit on restructure/accrédite (en exploitant en TNS ultra minoritaires des petites mains) pour revendre à un gros son labo une petite fortune soit on prend sa retraite dans 6 ans. Dans tous les cas, les jeunes sont les grands perdants : la biologie médicale n'est plus une profession libérale.
Pas la peine de faire de la pub Totsaki, vous devriez aller faire un tour sur le site des jeunes, la version 14.4 est en ligne : http://sjbm.wordpress.com/documents/

A quand un article sur les conflits de génération??;-)

GdM a dit…

@Totsaki, merci et bravo pour votre analyse pertinente :

Les rapports entre les générations de biologistes vont en effet être complétement modifiés, déjà qu'ils n'étaient pas terribles. Nous allons faire un deal win-win : faites de la pub pour mon post et écrivez-moi sur labmutation@gmail.com, je vous donnerai les pistes pour vous les procurer. Mais comme vous êtes sympathique, voici un premier lien : http://www.snbh.asso.fr/
Vous y trouverez la version 14 à la date du 25 novembre.
Bonne lecture

GdM a dit…

@Cassandre :
Je ne suis pas un adepte de Nostradamus ni des calendriers mayas mais ne seriez-vous pas une certaine...Relisath ?

Totsaki a dit…

Merci pour les liens mais dans mon empressement à répondre, je ne me suis pas rendu compte que j'avais déjà connaissance de cette version !

Remplacer la norme par la loi met effectivement fin à la biologie libérale.

Je réitère ma remarque: que les internes ou les jeunes biologistes (que je côtoie) ne semble pas s'émouvoir du futur proposé, soit..

Mais que faut il penser de l'aveuglement de la génération 45-55 ans, qui espère partir d'ici 5/10 ans à la retraite (et c'est une des tranches générationnelles la plus nombreuse dans notre profession), dont les 3/4 :

- soit n'ont pas envie de s'investir dans la démarche d'accréditation (lourdeur logistique, sacrifice économique)

- soit dénigrent son importance :"Même pas cap de fermer les labos non accrédités"

- soit sous-estiment carrément la charge de travail/investissement et n'y mettent pas les moyens.

La solution de la vente à une grosse structure (on oublie les jeunes biologistes) me semble alors mal engagée : je vois mal L.... acheter un labo à moitié accrédité qui fonctionne avec TROP de personnel pour rester un simple centre de prélèvement (ça fait des frais les plans de licenciement) alors qu'il est si simple d'en créer..des centres de prélèvements.

Enfin bon, on passe déjà 2012 apparemment après, on verra :p

GdM a dit…

@Totsaki : votre commentaire entre dans le top 5 des meilleurs commentaires du Blog. Bravo !
Les prises de positions de la jeune génération de biologistes commencent à se structurer autour d'arguments solides, loin des clichés habituels. Mais le débat est loin d'être clos...qu'en pensent les anciens qui doivent se retirer avant 2016 ?

Cassandre a dit…

Quelle perspicacité Mr GdM...
Pour parler actualité, la scandaleuse condamnation du CNOP est l'illustration parfaite de la folie du monde dans lequel nous vivons et ne fait que renforcer l'idée qu'aux yeux de l'Europe, la Biologie Médicale est bien une activité de service libre concurrentielle. J'ai peur que le cadre (trop) fragile de l'Ordonnance ne fasse pas le poids devant les lobbies qui s'exercent actuellement à Bruxelles. Si aucune réaction n'émane du gouvernement français suite à cette condamnation, nous aurons enfin compris quel type de biologie celui ci défend vraiment.
Cela nous sera salutaire.

Merci pour le petit mot sur les Jeunes, cela me va droit au cœur. On vient justement de retrouver un document qui atteste du clivage injustifiés entre nos générations, celui est communément admis comme ayant précipité la disparition de la biologie médicale.

GdM a dit…

@Cassandre :

Je n'ai pas toutes les informations officielles concernant la condamnation du CNOP. Ce dernier a probablement un recours à déposer.
Vous parliez d'un document, de quoi s'agit-il exactement ?

Cassandre a dit…

Trait d'humour que je faisais en relation avec votre dernier article : "nous continuons la recherche de documents de l’époque pour le confirmer"...;-)

GdM a dit…

@Cassandre : Arf...je dois vieillir...contactez-moi svp sur labmutation@gmail.com pour échanger sur ce qui vous tiens à coeur : la place des jeunes dans le nouveau dispositif.

Anonyme a dit…

J'attendais un nouvel article avec impatience et je ne suis pas déçu!
Belle anticipation Mr GdM ! Bravo pour les comments...La condamnation de l'Ordre est effectivement scandaleuse et défonce la boite de Pandore...quant à notre gouvernement je ne le vois que trop céder au lobbying amical des grands financiers de l'entourage présidentiel... Je pense que 2012 n'est pas si loin et que, peut être, le prosélytisme antigouvernemental quotidien de chaque biologiste auprès de ses patients influera ou retardera cette réforme qui suit scrupuleusement le rapport Lalande, dont tout de même, le bien fondé pourrait être remis en question...
J'ai encore qq suggestions mais je dois relire le rapport Lalande avant de les poster... Finalement le pouvoir n'appartient pas forcément à ceux pour qui l'on vote et celà devient inquiétant...
Mes encouragements à Cassandre dont j'ai lu la prose sur biomed semble-t-il...
Dixie

GdM a dit…

@Dixie : Merci et revenez quand vous le souhaitez !