mardi 18 novembre 2008

Biologie financière : le Ministère reculerait-il ?

Le 11 Novembre dernier, le journal officiel a publié la réponse de Mme Bachelot à quatre questions écrites posées par des députés entre le 20 mai 2008 et le 1 juillet 2008. Les quatre députés (du Gard, de la Réunion, de la Seine-St-Denis et de l'Hérault - bravo aux biologistes mobilisés) ont interpellé la Ministre sur l'ouverture des capitaux aux non-professionnels qu'impose la Commission européenne. Ils ont tous bien pris soin d'étendre la question à toutes les professions de santé libérales et de ne pas la restreindre aux seuls laboratoires d'analyses.


Cette réponse est extraordinaire et méritait à elle seule de faire l'objet d'une thèse de sciences politiques.

Examinons, comme nous en avons maintenant pris l'habitude, le timing de la réponse :

1- La Ministre a répondu entre 4 et 6 mois après la publication de la question, or d'après le site de l'Assemblée nationale, la réponse doit intervenir dans les deux mois. Y a-t-il dans ce cas précis une possibilité de dérogation ? C'est une question de droit constitutionel qui me dépasse.
2-Ensuite, cette réponse intervient une semaine après les mémorables JIB, où la Ministre a annoncé que , du fait de la pression européenne, la "réforme était dans un processus irréversible". A moins d'une amnésie totale, d'une grave schizophrénie, il est impossible pour elle et pour ses services d'oublier ce discours.
3-La loi HPST n'est pas encore examinée à l'assemblée nationale et l'ordonnance est en cours de préparation.
4- La réponse intervient la veille de la fameuse perquisition des inspecteurs européens au siège de l'ordre des pharmaciens.

Vous l'aurez compris, la réponse de Mme Bachelot indique que la réforme pourrait prendre un virage à 180° ou du moins donne du grain à moudre aux syndicats de biologistes. Je vous soumets ci-dessous le texte intégral de la réponse, identique pour les quatre députés :

La directive 2006/123/CE du Parlement européen et du conseil du 12 décembre 2006 relative aux services dans le marché intérieur, dite « directive services », exclut explicitement de son champ d'application par son article 2.2.f « les services de soins de santé, qu'ils soient ou non assurés dans le cadre d'établissements de soins et indépendamment de la manière dont ils sont organisés et financés au niveau national ou de leur nature publique ou privée ». Cette directive ne fait donc aucunement obligation d'ouvrir le capital des sociétés d'exercice libéral existant dans le champ de la santé. Les éventuelles évolutions envisagées dans ce domaine tireraient leur fondement de l'évolution de l'interprétation jurisprudentielle des règles des traités européens par la Cour de justice des Communautés européennes. Elles ne sauraient être adoptées sans un ensemble de garanties visant à préserver l'indépendance des professionnels concernés et à éviter les conflits d'intérêt, garanties qui, en tout état de cause, feraient l'objet de concertation préalable avec les intéressés.

Les trois dernières phrases sont des pépites et je comprends pourquoi le ministère a mis autant de temps à les rédiger. J'interprète en gros et en toute naïveté juridique (je suis Bac+10 en biologie humaine pas en droit !) :
- la santé ne dépend pas de la directive service (ce qu'aurait suggéré le réseau LABCO),
- l'ouverture totale du capital des SEL n'est donc pas obligatoire,
- l'Europe la demanderait sur des arguments de jurisprudence (et là ils nous faut vraiment des experts pour savoir si on peut contourner une jurisprudence)
- Si elle se fait, ce sera avec des garanties et en se concertant avec les professionnels.

Les conclusions à tirer sont immédiates :

- Cette réponse écrite éclaire d'un jour nouveau la réforme en cours car l'ouverture du capital ne serait pas automatique et inéluctable,
- Elle ouvre la porte à des négociations avec les syndicats,
- Elle exprime une certaine opposition des services français à l'interprétation jurisprudentielle de la Commission européenne (je crois que si mes souvenirs sont bons, la mise en demeure qu'avait envoyé la commission à l'état français faisait allusion à des réseaux d'opticiens...en Grèce),
- La perquisition de la semaine dernière est-elle à postériori justifiée ?

Rien n'est donc joué mais le risque de voir le virus BF (Biologie financière) contaminer l'ensemble du secteur de santé français semble aujourd'hui peser dans la balance. La bataille contre ce virus est une charge un peu trop lourde pour les seuls biologistes, les autres professionnels de santé et le public sont donc invités à leur donner un coup de main.

GdM
BFologue

11 commentaires:

lescud a dit…

Enfin une bonne nouvelle, même s'il ne faut pas s'emballer, cela fait du bien de voir que tout n'est pas joué d'avance...Merci pour ce blog qui a souvent la primeur de l'info.

GdM a dit…

Merci pour vos encouragements.
Il faut continuer à médiatiser la biologie médicale, n'hésitez donc pas à diffuser l'adresse du blog auprès des confrères et consoeurs.
GdM

Anonyme a dit…

Bravo pour cette analyse. Il faudrait effectivement mettre le ministère de la santé face à ses propres contracdictions.
Le décalage de cette réponse avec le discour de Roselyne est ahurissant ! S'agit-il d'un revirement du ministère, de cynisme vis à vis des députés qui ont ainsi l'impression d'être entendus ou de l'incompétence du rédacteur de la réponse ?
Cela mérite en tout cas une réaction de nos syndicats.
Michel Florentino

GdM a dit…

@Michel Si vous avez des infos sur la réction des syndicats n'hésitez à nous tenir informés.

Anonyme a dit…

Cher GDM,
Bravo pour votre blog pétri d'intelligence et de finesse.
J'ai sous la main une copie de la réponse faite à Mr F. LONCLE député de l'Eure, au nom de MR SARKOZY par son chef de cabinet Mr C. GOUBET en date du 06/10/08 :"Il en est ressorti (du rapport BALLEREAU)que l'ouverture du capital des SEL...est souhaitable."!!!
Je n'ai donc que peu d'illusions sur les altermoiements de notre ministre. L'ouverture du capital se fera hélas avec ou sans notre accord.
Dixie

Anonyme a dit…
Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.
GdM a dit…

@Dixie : merci et bienvenue sur labmutation.
Je suis content de lire les informations complémentaires que vous apportez (mention spéciale à sjbm !). Elles permettent des éclairages différents sur une situation très complexe et difficile à appréhender, seul(e) dans son labo.

Anonyme a dit…

Bravo pour votre blog, toujours bien écrit et très pertinent.

Je ne veux pas être pessimiste mais la réponse de la ministre est un modèle d'ambiguïté et de non réponse qui permet toutes les interprétations. Je m'explique :
1. "cette directive ne fait aucunement obligation d'ouvrir etc." Cette phrase avec double négation peut être interprétée comme "cette directive ne l'interdit pas" et ce qui n'est pas interdit est autorisé...
2. Les phrases suivantes utilisent le conditionnel. Attention ! Peuvent elles s'appliquer si les conditions de leur application ne sont pas réunies ?
Si on les reformule avec de l'indicatif cela peut changer toute leur interprétation. Par exemple "Les éventuelles évolutions envisagées dans ce domaine tirent leur fondement de l'évolution de l'interprétation jurisprudentielle des règles etc." (ce qui peut nous faire dire que cela a déjà eu lieu et que les évolutions envisagées sont complètement justifiées aux yeux de la Ministre). Dans le même sens, la phrase suivante n'est pas aussi claire que "Elles ne peuvent pas être adoptées sans un ensemble de garanties visant à préserver l'indépendance des professionnels concernés etc."
3. En ce qui concerne la dernière phrase et la biologie médicale, les Pouvoirs Publics peuvent très bien argumenter en disant que la "concertation préalable avec les intéressés" a déjà eu lieu dans le cadre de la Commission Ballereau.

Peut être suis je un peu paranoïaque, mais m'intéressant un peu à la politique et à sa sémantique, je crois que mon interprétation n'est pas si érronnée que cela. J'ai pu assister à presque toute la conférence de Monsieur Ballereau aux JIB et je m'étonne qu'elle n'ait pas suscité plus de commentaires que cela car dans le genre "réponses ambiguës", je trouve que c'était le pompon.

Votre remarque sur le timing de la réponse est aussi très important. cette réponse aurait très bien pu être comuniquée dans le délai légal car il n'y a eu aucun élément nouveau entre juillet et novembre sur cette problématique. Bizarre, bizarre.

Bien confraternellement.

GdM a dit…

@Alain : excellent commentaire !

Votre analyse sémantique de la réponse de Mme Bachelot est exacte et m'a ouvert les yeux ! Je l'ai prise un texte juridique or ce n'est pas le cas : il s'agit d'un texte politique ! Donc forcément tortueux. L'objectif ne serait-il pas d'endormir les députés rétifs à voter la loi HPST en l'état ?

Anonyme a dit…

Collusion avec les assureurs, menace du secret médical...

La santé a deux vitesses se met gentillement en place de façon insidieuse et personne ne réagit... Avant la mainmise des financiers sur la biologie médicale, le gouvernement a fait la promesse aux assureurs de pouvoir accéder aux données de santé des français sous prétexte de pouvoir mieux « gérer le risque ».

- "Gestion du risque", la privatisation de l'assurance santé en trois (gros) mots

http://www.lesmotsontunsens.com/la-
gestion-du-risque-ou-l-americanisat
ion-privatisation-de-l-assurance-
sante-securite-sociale-francaise-
20081020

- Sécurité sociale: une privatisation ni vu- ni connu

SANTÉ PRIVATISÉE : FAUX-CULS CONTRE SÉCU
[Le Canard Enchaîné du mercredi 15 octobre 2008 – Prof. Canardeau]

http://libertesinternets.wordpress.
com/2008/10/22/securite-sociale-une
-privatisation-ni-vu-ni-connu/


Cordialement

Anonyme a dit…

Je ne peux me résoudre à un tel constat... Il faut continuer à lutter (puisqu'on parle de guerre...).
Le manque de mobilisation et de soutien exprimé par le reste des professions libérales (notamment radiologues, anapath et globalement médecins... bientôt directement concernés par l'ouverture du capital par jurisprudence...)me désole mais pour leur défense, ils ne se sentent pas concernés...comme nous pensions être intouchable encore il y a un an...et regardez où nous en sommes... Mettre une profession face à ses réalités réveille les foules mais souvent trop tard! Puisque Madame La ministre préfère sacrifier la biologie médicale pour protéger soit disant les autres professions libérales (sentiments exprimés aux JIB...) l'idée serait malheureusement de déposer une plainte au niveau européen comme l'a fait Labco contre l'ensemble des professions libérales... Avis à nos Ordres...Pourquoi ne sacrifier qu'une profession...Le but serait au moins de réveiller les autres professionnels. Si la société Labco commence par la biologie alors qu'elle ne cache pas ses intentions sur le reste (radiologie, anapathologie...), c'est qu'elle sait qu'une guerre se gagne bataille après bataille et que lutter contre une armée entière serait très difficile...